Vivre la fausse couche dans sa pleine puissance

Entre deuil, force et vulnérabilité

Lise

7/21/20227 min read

[CE TEXTE CONTIENT DES PROPOS QUI PEUVENT RÉVEILLER DES SOUVENIRS DOULOUREUX OU DES TRAUMAS, LISEZ-LE AVEC CETTE CONSCIENCE. PENSEZ A PRENDRE SOIN DE VOUS ET/OU DEMANDER DE L’AIDE S’IL DÈCLENCHE DES RÉACTIONS TROP DIFFICILES]

Oui, on sait que ça existe, que c'est courant de perdre son bébé au premier trimestre. Une amie, une soeur, une tante a vécu cela. Moi je suis doula, je passe mon temps à lire et parler des naissances. Et ces naissances qui arrivent trop tôt? Je devrais être bien renseignée, non? On dit communément fausse couche : la grossesse était si vraie pourtant ! On pourrait dire « Interruption spontanée de grossesse » en attendant un terme plus poétique.

Et bien... En vivant moi même cette expérience, je me rends compte que je n'en savait pas grand chose. Je connaissais les statistiques. Je connaissais les options médicales ou non qui s'offrent à une femme, un couple qui apprend que son bébé ne vit plus. Je me doutais que ça doit faire mal, au corps et au coeur.

Et voilà que mon corps et mon bébé me font vivre cette expérience. Je n'avais pas idée!!

J'ai été bien consciente, peut être trop, qu'une grossesse peut très bien se terminer trop vite, avant même qu'on sente le bébé bouger. Pendant ce "trimestre de l'invisible" pendant lequel on ne partage peu notre joie de porter la vie. J'ai des inquiétudes, je parle à mon bébé: "Si tu es vivant.e, fais le moi savoir, n'hésite pas à mettre le paquet si je ne comprends pas." Une heure plus tard, lavette sur le canapé, l'estomac à l'envers : "Ok j'ai compris!! Tu es là! Je t'aime!".

Une nuit, je me rends compte que ça fait deux jours que je ne ressens plus la fatigue bien particulière qui m'avait accompagnée jusque là. Un genre de torpeur sans appel... Bizarre, ou es tu ma fatigue? Je questionne mon ventre, j'ai comme une sensation qu'il n'y a plus de vie." Sur le moment, je ressens la mort de mon bébé comme ce qui est, une vérité plate et douloureuse. Pourtant, deux jours plus tôt j'avais vu ce petit amas de cellules sur l'écran, qui frétille, selon la gynéco. J'ai un crédo, qui est de ne pas écouter les angoisses qui surviennent la nuit. Je me raisonne: "Toute façon je ne peux pas savoir, on verra à l'écho des 12 semaines".

Les jours suivante, je célèbre la moindre petite nausée ou fatigue. Pourtant le doute persiste. Un lundi, j'ai une trace de sang rouge en m'essuyant. Ca veut dire quoi? J'attends, plus rien.

Vendredi suivant encore une trace, et des maux de ventre (c'est l'utérus ou les intestins?). Puis je sens que ça coule entre mes jambes: c'est un liquide rosé qui m'étonne par son odeur douce, délicate. Je comprends: "C'est peut-être le sac amniotique qui a percé." Là, j'ai le coeur en vrac.

Encore une fois je me calme en me disant que je n'en sais rien, on verra lundi à l'écho. Je fais du désherbage pour m'occuper l'esprit. Le samedi, avec mon compagnon on a bien choisi notre jour pour faire des travaux sur notre terrasse: les douleurs se font de plus en plus vives au cours de la journée, j'ai sûrement poussé mes limites.

Le lendemain dimanche, je commence à avoir des douleurs vers midi, qui augmentent rapidement en intensité. Tout à coup j'ai peur: "C'est une simple interruption naturelle de grossesse ou une grossesse extra-utérine?" La première option relève de la physiologie: je peux faire confiance au processus, tout en étant attentive aux signaux d'alarme (fièvre ou saignement trop abondants). La deuxième option nécessite une prise en charge médicale d'urgence. Je demande de l'aide (vive les smartphones!) aux amies sages-femmes et doulas: ok, avoir des douleurs atroces ça peut être normal. Ok, je peux penser que si ma grossesse était extra-utérine la gynéco l'aurait vu il y a 3 semaines. Pourquoi je n’ai pas posé la question??? Mon instinct me dit de laisser faire mon corps.

Laisser faire? Dans la prairie près de notre yourte je laisse monter l'animale en moi. Je saigne, ça coule, j'ai des contractions, je respire, puis je chante, puis je crie et hurle la douleur qui me traverse. C'est tellement violent que je vomis. La douleur est physique, mais avec elle vient la perte. Mon col aurait dû s'ouvrit dans 6 mois pour faire sortir un bébé en pleine santé! Pas maintenant ! Et pourtant le corps fait ce qu'il a à faire: évacuer la mort pour faire place à une nouvelle vie. Et pourtant, je lui dit "Viens, mon bébé, sors! "Et oui, ielle sort. Un petit disque: ça c'est différent d'un caillot, c'est le placenta. Attaché, un haricot de 2 centimètres. On dirait un petit dinosaure. Mon bébé. Pourtant ça ne s'arrête pas là. Pendant près de quatre heures je crie et ma yoni pleure du sang. L'homme que j'aime s'inquiète, il est prêt à me conduire aux urgences. Je me sens incapable de monter dans une voiture, je négocie. Si dans 30 min ça ne se calme pas, et puis je vais saigner dans un pot pour voir si ça paraît trop. Je parle à mon utérus, lui demande de nous tranquilliser. Il est d'accord, doucement je commence à avoir des pauses, les pauses s'allongent, enfin les contractions s'arrêtent ouf! Couverte de sang je me sens étonnamment soulagée. Après plusieurs semaines de doutes, d'inquiétudes, je sais. J'ai la chance de l'avoir vécu dans ma pleine puissance. Ce n'est pas un.e inconnu.e qui m'a annoncé que mon bébé était mort. Non. Je l'ai vu sortir de moi. Au delà de la mort et du deuil, il y a quelque chose de sain et de beau.

Le lendemain lundi, vers 14h, mon corps remet ça, je ne m'y attends pas!! Personne ne m'avait dit qu'une fausse couche pouvait arriver en plusieurs fois! Noooooonnnnn Pourquoi moi?? Je me sens maudite, à nouveau je passe deux heures à hurler de douleur et saigner dans la prairie. Le lendemain, le surlendemain encore le scenario se répète. Chaque jour je puise plus loin cette force de femme, chaque jour je fais confiance à mon corps, il sait ce qu'il y a faire.

Quand même à un moment les épisodes de contractions s'arrêtent. J'écris aujourd'hui, ça fait 10 jours que je saigne. Je me repose, j'honore ce lent nettoyage qui fera la place pour l'accueil d'une nouvelle vie.

Mon compagnon et moi avons honoré la courte vie de notre enfant. Il, elle est enterré.e sous les bouleaux, près de notre yourte. Mon bébé, je t'aime. Je te remercie d'avoir fait de moi une mère. D'avoir vibré ta vie dans mon ventre et de m'avoir quitté.e avec une telle grâce. Merci.

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L'expérience me fait prendre conscience que je ne savais, je ne sais toujours pas grand chose du processus physiologique de la fausse couche. La majorité des personnes avec qui j'en ai parlé sont passée par le processus médical du curetage.

Alors que j'ai vécu ce processus de manière physiologique, les questions se sont succédées:

Est ce qu'on peut sentir la différence entre une fausse couche et une grossesse extra utérine?

C'est normal que ça soit aussi douloureux?

Et quoi? Je n'avais aucune idée qu'on pouvait avoir plusieurs épisodes de contractions...

Combien de temps encore je vais saigner?

Combien de temps ca va prendre pour que mes cycles reprennent?

Et ça va reprendre en commençant par l'ovulation ou par des règles?

...

Ici, dans notre société moderne règnent de lourds tabous. La fausse couche réunit celui de la mort et celui sur le corps des femmes et sur leur sang. Et voilà: on se retrouve avec un sujet riche, magnifique dans son humanité qui n'est pas partagé, l'ignorance entraine la peur. Alors, si on se retrouve dans cette situation, on laisse la médecine s'en occuper. On oublie la puissante beauté de la vie qui a tout prévu.

Perdre un bébé dans se premières semaines de vie c'est aussi un deuil. Mais c'était encore le trimestre de l'invisible, peu de personnes savent qu'on était enceinte. Alors pourquoi dire que la grossesse est finie? Si on le partage c'est sûrement avec un minimum de détails. Un moment souvent vécu en solitaire qui aurait besoin des oreilles et bras aimant de nos proches. Peut-être ce n'est pas facile de partager notre douleur avec l'autre parent, lui, elle aussi en souffrance. Souvent on doit retourner travailler très vite, sans laisser le temps au corps et au coeur de guérir.

Et la culpabilité? C'est moi qui ai fait ça à mon bébé? Est ce que mon corps est capable de faire grandir un bébé? Est ce que j'ai "mal fait" quelque chose? N'oublions pas qu'il y a peu, on considérait encore que la femme était l'unique responsable de l'infertilité d'un couple.

Je préfère me laisser bercer par la certitude que c'est la vie qui m'a protégé de davantage de souffrance pour moi, mon partenaire et mon bébé.

Je préfère nourrir l'imaginaire: Dans un société tribale, le sujet n'est pas tabou. Les jeunes filles ont entendu leurs mères, leurs soeurs raconter leur expérience d'avoir perdu leur bébé trop tôt. Elle ont témoigné et même accompagné leurs amies dans cette épreuve.

J'aurait tellement m'engager dans l'expérience nourrie des récits de mes ancêtres!

C'est pourquoi je vous partage ici mon vécu, de la manière la plus spontanée qui soit. J'espère avoi peint une image vivante de la perte de mon bébé. Pendant sa courte vie il m'a fait ne nombreux cadeaux, et voilà ce qu'il vous transmets à travers ma plume. Je vous remercie de m'avoir lue jusqu'à la fin :)